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L'affaire incroyable du vol de cocaïne au 36 quai des Orfèvres

Cinquante-deux kilos de cocaïne sont sortis par la grande porte du 36 quai des Orfèvres, à Paris.

Dans la nuit du 24 au 25 juillet 2014, cinquante-deux kilos de cocaïne sont sortis par la grande porte du 36 quai des Orfèvres, à Paris. On ignore ce que les pains de drogue sont devenus, mais on sait qui, ce soir-là, a franchi d’un pas tranquille le porche du siège de la police judiciaire en emportant le précieux butin qui était jusque-là verrouillé dans une chambre forte.

Jonathan Guyot, policier affecté à la brigade des stupéfiants, a été reconnu une semaine plus tard par plusieurs membres de sa hiérarchie comme étant l’homme à casquette qui, sur les caméras de surveillance du « 36 », est entré à 23 h 31 muni de deux sacs de supermarché vides et en est ressorti une heure plus tard avec deux sacs pleins à craquer.

Son procès s’ouvre, mardi 7 mars, devant le tribunal correctionnel de Paris. Aux côtés de Jonathan Guyot comparaissent huit personnes dont trois autres fonctionnaires de police, parmi lesquels son frère, Donovan Guyot, un escroc réputé, Christophe Rocancourt, et un trafiquant de drogue indicateur de police – un « tonton » dans le jargon – Farid Kharraki. Le dixième prévenu, Moussa Bouzembrak, soupçonné d’être celui qui a écoulé la drogue, est toujours en fuite. Deux autres policiers, mis en cause pendant l’enquête, ont bénéficié d’un non-lieu.

PETITES COUPURES

Une fois le visiteur nocturne du « 36 » identifié, l’enquête était allée vite. Lors de l’interpellation de Jonathan Guyot le 2 août 2014 à Perpignan, les enquêteurs trouvent dans son sac à dos la somme de 16 000 euros « conditionnés par paquets de 49 billets de 20 euros tenus par un dernier billet plié en deux », ainsi que divers bouts de papier portant des indications de sommes en regard d’initiales ou de surnoms, ressemblant à une comptabilité occulte.

À son domicile parisien, ils mettent la main sur près de 33 000 euros en petites coupures dissimulées dans divers endroits. Ses comptes bancaires révèlent de multiples virements en espèces pour près de 46 000 euros et l’examen de son patrimoine permet de découvrir que Jonathan Guyot est propriétaire de plusieurs biens immobiliers dont l’acquisition est incompatible avec ses seules ressources de fonctionnaire de police.

L’examen de son téléphone avait apporté d’autres informations accablantes. Une note effacée, datée du 9 juillet 2014, contenait le code d’accès à quatre chiffres du coffre des armes individuelles de la brigade des stupéfiants qui renfermait la clé du local à scellés où étaient entreposés les pains de cocaïne.

Ses SMS se révélaient tout aussi bavards. Juste avant de pénétrer au « 36 », Jonathan Guyot avait prévenu Farid Kharraki – « Reste branché, dans une heure je t’appelle » –, puis l’avait rappelé à plusieurs reprises quelques minutes après sa sortie avant de le rejoindre. Entre les deux appels, Jonathan Guyot avait coupé son portable.

Retrouvé au Maroc où il avait pris la fuite dès le début de l’enquête, le « tonton » , Farid Kharraki, niait toute implication dans le recel de la cocaïne – en dépit de la découverte de 320 000 euros d’investissements immobiliers réalisés à Oujda, au nord-est du royaume, quelques jours après le vol au « 36 ». Mais il avouait cependant qu’il se livrait depuis plusieurs mois au trafic de cannabis avec la complicité de Jonathan Guyot, auquel il reversait 25 % de ses gains.

Les écoutes téléphoniques d’une amie du policier permettaient surtout d’apprendre que Jonathan Guyot avait déposé deux sacs contenant chacun une somme évaluée à 200 000 euros en espèces chez des amis d’enfance, dont un gardien de la paix. A partir de là, l’affaire devient encore plus rocambolesque.

Car de la prison de Fleury-Mérogis où il est détenu, Jonathan Guyot charge son épouse de jouer les messagers pour mettre à l’abri son pactole. Mais l’ampleur prise par l’affaire fait paniquer ses copains. Nicolas Joubert, garçon de café, prend les sacs d’argent planqués sous son évier par Jonathan Guyot et va les disperser, en plusieurs fois, dans des poubelles parisiennes. Il garde tout de même 31 000 euros qui seront retrouvés en perquisition chez lui.

LE BUTIN NOYÉ DANS LE LAC

Touati Mekhlefi, gardien de la paix, qui ne veut pas toucher les enveloppes en plastique déposées chez lui par crainte d’y laisser ses empreintes, les confie au frère de Jonathan Guyot, Donovan, qui va noyer la plus grosse part du butin dans le lac de Créteil – il s’y reprend à plusieurs reprises, avant de parvenir à le faire disparaître en lestant son sac à dos de pierres – et dissimule un autre paquet dans un arbre.

Dans le quartier VIP où il est incarcéré, Jonathan Guyot raconte ses déboires à un codétenu célèbre pour ses escroqueries, Christophe Rocancourt. Flairant la bonne affaire, celui-ci lui propose son aide pour récupérer l’argent et charge un complice, Yossef Ifergan, d’accompagner Donovan Guyot au lac de Créteil.

Les deux hommes, équipés de manches de balai, ne parviennent pas à retrouver le sac au fond de l’eau, mais ils ont plus de chance avec l’enveloppe contenant 50 000 euros qui avait été cachée dans l’arbre. Les enquêteurs découvriront une partie de la somme dans des bocaux enfouis dans le jardin de la belle-mère de Yossef Ifergan, une autre chez l’épouse de Christophe Rocancourt. Lorsque la brigade fluviale plongera à son tour au lieu indiqué par Donovan Guyot, elle remontera le sac à dos, contenant encore plusieurs liasses, quelques billets voguant alentour.

Le tribunal correctionnel s’est donné jusqu’au 17 mars pour examiner ce dossier qui fourmille d’autres épisodes tous plus fous les uns que les autres. Jonathan Guyot encourt la peine maximum de dix ans d’emprisonnement.

Source : Lemonde.fr